WCC5 Discours d’ouverture Michel Arrion – Directeur exécutif d’ICCO

Intervention du Directeur Exécutif de l’ICCO

Conférence Mondiale du Cacao

Bruxelles, le 22 avril 2024

 

 

Messieurs les Ministres,

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,

Mesdames et Messieurs en vos rangs, titres et qualités,

Chers Participants,

Je voudrais revenir avec vous ce matin sur le thème principal de la Conférence et sur sa pertinence pour notre Organisation, en particulier son Programme stratégique pour 2024 – 2029 qui a placé l’augmentation du revenu des petits producteurs au cœur de sa stratégie. Nous allons aussi montrer le lien entre ce thème et les divers panels que nous avons programmés demain mardi.

Le thème de notre Conférence « Payer plus pour un cacao durable » doit se comprendre avec son sous-titre « Pour une répartition plus équitable de la valeur ajoutée le long de la chaîne de commercialisation du cacao ».

On peut y distinguer 3 idées-forces : (i) payer plus ; (ii) en lien avec la durabilité ; (iii) tout au long de la filière.

Reprenons-les une par une en essayant de les définir ou de clarifier les concepts.

  1. Payer plus.

Ici nous voulons parler bien sûr du prix payé au petit producteur, c’est-à-dire le prix bord champ ou à la coopérative, selon le cas. Plusieurs points doivent être rappelés ici :

  • Les prix sont bas, et ne sont pas suffisants pour atteindre un revenu décent.
  • Les petits producteurs sont pauvres et ne peuvent pas vivre de leur cacao.
  • Le caco est une monoculture, il constitue très souvent leur seule ressource.
  • Historiquement, les prix ont continuellement baissé, en termes réels. Ici je voudrais ouvrir une parenthèse et rappeler qu’il ne faut pas confondre prix réels et prix en termes nominaux. Un dollar de 2024 ne peut pas être comparé à un dollar de 1980 ou 1990. Encore moins un euro… Il est nécessaire de prendre en compte l’inflation et les variations de taux de change quand on compare les niveaux de prix sur une durée de temps longue.

Alors comment gérer les mécanismes de fixation du prix bord champ payé au producteur, afin de pouvoir l’augmenter ?

Il nous faut distinguer ici, dans un premier temps, les pays où les prix sont règlementés, c’est-à-dire fixés par les gouvernements des pays producteurs, des pays où c’est le marché qui détermine les prix.

Je voudrais préciser ici que la fixation des prix agricoles, et les subventions agricoles en général, sont largement pratiqués dans le monde, directement ou indirectement, y compris dans des économies libérales comme l’Union européenne ou les Etats Unis d’Amérique.

Pendant des décennies, l’Europe, avec la Politique Agricole Commune, a subventionné les agriculteurs européens en fixant des prix intérieurs plus élevés que les prix internationaux. C’était le consommateur européen qui en définitive contribuait au financement de la PAC. Aux Etats Unis, les « Farm Bills » successives apportent différents soutiens aux agriculteurs américains, sous forme de filets de sécurité, de prêts, d’assurance récolte, etc. Ici, ce ne sont pas les consommateurs mais ce sont les contribuables américains qui en définitive financent le système.

Là où les prix sont réglementés, les autorités en charge du secteur du cacao ont très souvent pour objectif déclaré de faire bénéficier les producteurs d’une part substantielle du prix mondial, c’est-à-dire le prix pratiqué sur les marchés internationaux. Elles fixent alors le prix bord champ à un pourcentage élevé, par exemple 70% du prix mondial. On voit donc qu’en réalité la « fixation » du prix est largement tributaire du niveau de prix du marché mondial. Si l’on veut des prix bord champ élevés, il faut des prix mondiaux élevés. Condition nécessaire mais non suffisante comme nous le verrons bientôt.

Pour que les prix mondiaux soient élevés, il faut bien sûr que l’offre soit inférieure à la demande. Il faut donc stabiliser la production, veiller à éviter les excédents, et stimuler la demande, c’est-à-dire promouvoir la consommation du cacao.

La situation actuelle des marchés prouve à suffisance l’impact d’une offre stabilisée à des niveaux inférieurs à la demande. Les prix réagissent en effet plus que proportionnellement aux variations de l’offre. Et parfois beaucoup plus.

Beaucoup se souviendront de la chute des prix de plus de 30% en 2016/2017, due à une augmentation de production d’environ 15%. Nous sommes aujourd’hui dans une situation inverse avec une baisse de production de 10% et des augmentations de prix, bien plus que proportionnelles, qui se situent entre 75% et 200%, selon les comparaisons effectuées.

Dans les pays où les prix ne sont pas réglementés, et où ce sont les marchés qui déterminent les prix, la situation n’est guère différente, et les gouvernements ont tout intérêt à surveiller les mises en marché, et à gérer la production, afin de maintenir les prix hauts.

Sans aucun doute, le panel prévu demain sur la gestion de l’offre nous permettra d’approfondir ces questions.

Je voudrais maintenant préciser que, dans les pays où les prix sont réglementés, la transmission des variations du prix mondial n’est pas toujours automatique et immédiate, ce qui pose bien sûr des problèmes en cours d’année. Dans les systèmes de prix garantis, il faudrait sans doute plus souvent recalculer les prix plutôt que de ne le faire qu’une fois par an. Mais cela a pour conséquence qu’il faut adapter la façon dont on vend à terme, et surtout les volumes couverts par ces ventes à terme, en renouvelant les opérations plus souvent, de façon à coller de plus près aux variations du marché.

S’agissant de la demande, c’est-à-dire la promotion de la consommation, il faut agir à la fois sur les aspects qualitatifs et quantitatifs.

Développer un segment de marché de cacaos à hautes qualités organoleptiques, développer des cacaos premium, permettra de développer des cacaos appréciés par les consommateurs, prêts à en payer le prix. Je suis sûr que demain, plusieurs panels et plusieurs intervenants mettront les questions de  « décommodisation » du cacao et de « segmentation du marché » sur la table des discussions.

Mais au niveau quantitatif également, beaucoup de travail reste à faire pour développer de « nouveaux marchés », des marchés émergents. Les marchés européen et nord-américain sont quasiment saturés, en termes de consommation par habitant, et en termes de démographie. Les nouveaux marchés asiatiques sont l’avenir de la croissance de la consommation mondiale de cacao, car c’est en Asie que seront réunies les 2 conditions pour une croissance de la demande : la démographie, et l’émergence d’une classe moyenne disposant d’un revenu suffisant pour manger des produits chocolatés.

Venons-en maintenant à la deuxième idée-force.

  1. Le lien avec la durabilité.

La production de cacao a un coût élevé en matière environnementale et sociale, et ce coût est rarement intégré dans la valeur du cacao. Il faudrait qu’il le soit. Le panel demain sur le « vrai coût » du cacao nous permettra de discuter cette question en détail.

Par ailleurs, la mise en conformité de la production de caco avec les normes et standards de durabilité sociale et environnementale, tant les normes des pays producteurs, que les normes des pays consommateurs, représente un coût élevé. Ce coût ne devrait pas incomber aux producteurs, il devrait être absorbé par les autres parties prenantes de la filière. Un autre panel demain sur l’impact des politiques et réglementations nous permettra de discuter de cette question importante. Notre message devra être clair : nous aspirons à des prix plus élevés du cacao, à la fois pour améliorer le revenu des producteurs mais aussi pour couvrir les coûts des externalités sociales et environnementales, et les coûts de mise en conformité. En d’autres termes, si l’on veut du cacao durable, il faut le payer à son juste prix, qui doit intégrer l’ensemble des coûts directs et indirects. Comme nous l’a rappelé Sa Majesté la Reine ce matin, les prix et la durabilité sont les deux faces d’une même médaille.

 Passons maintenant à la troisième et dernière idée-force.

  1. La répartition de la valeur tout le long de la filière.

La répartition de la valeur le long de la chaîne de commercialisation, nous le savons, se fait de façon très inéquitable. Hier après-midi, lors d’un événement parallèle organisé par la GIZ avec le bureau d’études Basic, nous avons pu discuter en détail de la répartition des coûts et des marges de chaque acteur de la filière. L’étude de Basic montre que les variations de création de valeur, de coûts et de marges ont principalement lieu aux deux dernières étapes de la chaîne : la fabrication des produits finis chocolatés et la distribution. Alors comment augmenter la part des petits producteurs ?

Je voudrais clarifier ici un point important : il me parait illusoire de demander à l’ensemble des parties prenantes de la filière de réduire leurs marges bénéficiaires au profit des producteurs. Tous vous diront que leurs marges nettes sont très réduites : les collecteurs, les traitants, les grossistes, les exportateurs, les importateurs, les broyeurs, les fabricants de chocolats et de confiseries, les distributeurs…. Aucun ne veut réduire sa part.

La solution n’est pas de demander à chacun de réduire sa part du gâteau. La solution est de produire un plus gros gâteau ! Il nous faut donc créer de la valeur par tonne de cacao, augmenter les prix et les marges de chacun, … et faire payer le consommateur final.

En guise de conclusion : quand je vous annonçais au début de mon intervention que le thème de la Conférence pouvait s’interpréter comme appelant à payer plus aux paysans pour un cacao durable, je pense qu’en réalité, il peut aussi s’interpréter comme un appel aux consommateurs finaux, à payer plus pour un cacao durable.

Je vous remercie.